Thierry Ardisson : L’homme aux lunettes noires n’a pas réussi à défier la Faucheuse au long manteau noir, ce 14 juillet 2025.

14 juillet 2025

Par Alexandre Latreuille – Photos de Philippe Matsas à l’Hôtel Le Meurice

Qu’écrire sur Thierry Ardisson ? Hier soir, sa mort faisait déjà le tour des réseaux avant d’être démentie par sa femme, Audrey Crespo-Mara. On ne jugera pas sa réaction : elle vit une douleur que les mots ne peuvent effleurer. Peut-être lira-t-elle ce souvenir de nos deux rencontres avec l’animateur irrévérencieux du petit écran.

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“J’ai eu la chance d’interviewer Serge Gainsbourg, Jean d’Ormesson et Angelina Jolie. C’est quand même moins glamour d’interviewer M. Pokora, Amir ou Amel Bent. À défaut d’être nostalgique, je regrette l’époque où il y avait plus de gens intéressants…”

La première fois, on ne pensait jamais arriver à temps au palace Le Meurice, à Paris, là où il avait ses habitudes. Ce jour-là, Oscar, notre chat, avait eu la brillante idée de grimper sur les toits depuis la terrasse. Pris de panique en réalisant la hauteur, il était rentré en trombe, réalisant sans doute son meilleur sprint de « coussinet de course ». C’était le 31 mars 2022. Contre toute attente, on arriva à l’heure pour cet entretien autour de son nouveau concept télé – un projet ambitieux, mais qui fit un flop. Une émission qui ressuscitait des stars comme Dalida, Coluche ou Gabin via une technologie d’intelligence artificielle, donnant l’illusion qu’Ardisson les recevait en plateau. Était-il trop en avance sur son temps ? Peut-être. Nous, en tout cas, on avait trouvé ça fascinant.

Dans la suite du Meurice, clope sur clope, Ardisson répondait à nos questions avec vivacité. Il détestait les photos. Il parlait fort. Et pourtant, il jouait le jeu avec le photographe, tout en posant ses conditions. Une personnalité à gérer, extravertie, franc-tireur, exigeante, mais jamais vide. Il savait ce qu’il ne voulait pas.

Notre deuxième entretien, toujours au Meurice, fut encore plus direct. Ardisson nous avait balancé, sans détour :
« J’ai eu la chance d’interviewer Serge Gainsbourg, Jean d’Ormesson et Angelina Jolie. C’est quand même moins glamour d’interviewer M. Pokora, Amir ou Amel Bent. À défaut d’être nostalgique, je regrette l’époque où il y avait plus de gens intéressants… »

Pas plus tendre avec les Américains :
« J’ai eu la chance de recevoir tout le showbiz et le cinéma US. Aujourd’hui, quand ils viennent à Paris, c’est un jour à l’hôtel pour une press junket – des interviews à la chaîne – et basta. Les cost controllers ont pris le pouvoir. »

Un regard lucide, partagé sur l’évolution du milieu. Nous avions d’ailleurs titré cette couverture : « Thierry Ardisson, sans filtre ». C’était juste.

Petite anecdote : il voulait relire l’entretien avant parution. On était déjà à la bourre dans notre planning. Résultat : on a dû décaler la publication. Il nous avait lancé, sûr de lui, presque trop :
« On peut bien décaler, les gars ! »

Qu’on aime ou pas le personnage, Thierry Ardisson a marqué la télé française. Il lui a donné un ton insolent, souvent clivant, parfois détesté, mais toujours singulier. Pour les plus curieux, sa chaîne YouTube Arditube regroupe les moments cultes de celui qu’on surnommait « L’homme en noir ». À ce propos, il nous avait confié : « J’ai toujours trouvé injuste que tant de travail s’évapore après la diffusion. C’est pour ça qu’Arditube existe. L’intérêt est évident pour ceux qui veulent étudier une époque. Ces émissions en sont une photographie. »

Hélas, son dernier coup d’éclat avait fait polémique : sur le plateau de Quelle époque !, il avait osé comparer la tragédie à Gaza avec Auschwitz. Une phrase qui a choqué. Le lendemain de la diffusion, il a présenté ses excuses. Mais c’était ça, Ardisson : un style qui bouscule, qui dérange, qui fait débat. Une forme d’esprit français : ni lisse, ni politiquement correct, ni consensuel.

Quoiqu’on en pense, il n’était pas ce vieux « con » réac que certains imaginaient. Il nous avait dit :
« J’aime bien mon époque. Je ne suis pas réactionnaire. »

C’était vrai, aussi.

“J’ai toujours trouvé injuste que tant de travail s’évapore après la diffusion. C’est pour ça qu’Arditube existe. L’intérêt est évident pour ceux qui veulent étudier une époque. Ces émissions en sont une photographie.”

Christophe Mangelle