LIVRE

Hommage à Jean Teulé

Après la terrible annonce du décès de Jean Teulé et le chagrin que nous ressentons à la rédaction, nous partageons la dernière interview qu’il avait accordé au mook lors de la parution de son roman Crénom, Baudelaire ! (Mialet-Barrault) paru en novembre 2020.

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Habitué à écrire sur les poètes, Jean Teulé revient avec un livre documenté, caustique et sombre sur la figure du célèbre poète Charles Baudelaire. Crénom, Baudelaire ! (Édition Mialet/Barrault), qui serait, par ailleurs, le dernier mot prononcé par l’auteur avant sa mort. Si l’auteur affirme que le poète est un sale type, il dit aussi que Les fleurs du mal reste le meilleur ouvrage de poésie. Rencontre.

LFC : Vous avez changé de maison d’édition.

JT : J’ai changé de maison d’édition mais pas d’éditeurs. Betty (Mialet) et Bernard (Barrault) avaient été si élégants avec moi quand mes livres ne se vendaient pas au début. Je ne pouvais pas les quitter. Je les aime d’amour. Quand j’ai écrit Crénom, Baudelaire !, j’ai découvert son éditeur, Auguste Poulet-Malassis. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec les miens. Cet éditeur avait tellement soutenu et aidé, même financièrement, le poète. Et pendant que ce dernier était en prison, Charles Baudelaire lui-même était allé vendre les droits de son ouvrage de poésie Les Fleurs de mal à un autre. Quel salaud !

Pour ma part, j’avais été séduit par de multiples autres éditeurs. Je me souviens bien d’un homme qui voulait à tout prix me débaucher et à mes réponses enthousiastes sur ma fidélité, ce dernier m’a avoué qu’il adorerait avoir un auteur un jour qui parle de lui comme moi. Finalement, il était content que je lui dise non, chaque fois. Betty et Bernard sont des personnes bienveillantes.

LFC : À qui attribuer le succès d’un livre ?

JT : Aux éditeurs mais aussi à l’auteur, je pense. Il y a évidemment celui qui tient la plume mais l’éditeur doit se donner les moyens de faire connaître le livre. Lorsque vous avez deux personnes formidables et même, je vous confie, une attachée de presse adorable, vous avez envie que votre ouvrage fonctionne.

Il y a évidemment celui qui tient la plume mais l’éditeur doit se donner les moyens de faire connaître le livre. Lorsque vous avez deux personnes formidables et même, je vous confie, une attachée de presse adorable, vous avez envie que votre ouvrage fonctionne.

LFC : Pourquoi avoir choisi d’écrire sur Charles Baudelaire ?

JT : Ce qui est étrange c’est que j’ai toujours refusé avant d’écrire sur Charles Baudelaire. Je ne pouvais vraiment pas le voir en peinture. Misogyne, désagréable avec tous, insupportable. Alors, par esprit de contradiction, s’il y a un recueil de poésie à lire, je dirais que c’est évidemment Les fleurs du mal. C’est l’Everest ! Mais je vous assure que je ne peux pas saquer ce mec ! Mais c’est lorsque je faisais la promotion du livre Gare à Lou, dans une émission de Nagui, où une journaliste me demande pourquoi je ne voulais pas traiter ce sujet-là. J’insistais sur ce côté peu agréable de l’homme. Puis, elle me conseillait alors que je devais choisir peut-être cet angle-là, pour en parler. Cette phrase a fait son œuvre. Je me suis mis à lire des biographies et j’ai découvert une vie romanesque.

LFC : Il est donc tout à fait étonnant que vous ayez finalement choisi ce poète.

JT : Je disais tout le temps que pour faire un roman sur quelqu’un, il me fallait aimer le personnage. Il est difficile d’aimer Baudelaire. Finalement, c’était drôle d’écrire sur lui. J’ai été pris par une forme de compassion et de tendresse. C’est l’histoire d’un mec paumé en somme ! Charles Baudelaire adorait sa mère, d’une façon extrême, et lorsqu’elle était absente, il se retrouvait en manque à tel point qu’il allait dans la lingerie pour y plonger sa tête pour respirer le linge sale de sa mère. Cela a été sa première drogue. Son père est mort quand il était jeune mais cela ne lui fit rien car il allait enfin avoir sa mère uniquement pour lui. Au final, celle-ci s’est remariée quelques mois après. C’était une catastrophe ! Le poète confiait que c’était la blessure fondamentale. Le soir, pendant le buffet dinatoire du mariage, il est monté dans la chambre conjugale, avait fermé la chambre et jeté la clé dans un puit. Du jour au lendemain, toutes les femmes étaient devenues des salopes. Il avait dit : « J’ai été singulièrement mystifié par l’amour maternelle ». Baudelaire était un ultra-sensitif. À la fin de sa vie, il était d’un tel état émotif. Tout cela le rend, en quelque sorte, touchant.

LFC : Justement, l’aimez-vous un peu plus ?

JT : Je l’aime beaucoup plus ! Cet homme a trahi tout le monde, il avait peu d’amis. Je peux dire qu’il se détestait lui-même car il disait qu’il était mécontent de tous mais aussi de lui. Il y a cette phrase formidablement atroce : « Si j’avais un fils qui me ressemble, je le tuerais par horreur de moi-même ». C’est vraiment puissant ! Il avait envie d’être détesté. Mais encore, partageons d’autres phrases : « Avec mon talent désagréable, je voudrais mettre l’humanité toute entière contre moi. Je vois là une jouissance qui me consolerait de tout ». Vous constatez bien que nous revenons toujours à son enfance.

LFC : Après la lecture de cet ouvrage, que voudriez-vous que les lecteurs retiennent ?

JT : Que c’est un homme bouleversant ! Puis, il y a le poète au milieu. J’ai voulu créer comme un contraste. Et enfin, mettre des situations, par exemple, pour le poème L’albatros, Baudelaire l’a composé à la suite de cette mésaventure sur le bateau qui le conduisait aux Indes, par la force de son beau-père qui ne supportait plus l’auteur. Je veux emmener les gens qui ne connaissent pas Baudelaire.

Je veux emmener les gens qui ne connaissent pas Baudelaire.

LFC : Pensez-vous être un passeur de l’art poétique ?

JT : Je me souviens, après avoir écrit Je, François Villon, qu’un libraire m’avait exprimé sa joie de vendre davantage de recueils de poésie. J’étais absolument fier ! J’avais l’impression d’avoir eu un rôle de passeur. Par ailleurs, j’ai découvert Baudelaire, Rimbaud ou encore Verlaine grâce à l’artiste Léo Ferré. Ainsi, j’ai la sensation de faire la même chose aujourd’hui.

LFC : À qui ce livre s’adresse-t-il finalement ?

JT : Sans condescendance, à tout le monde ! Par exemple, j’ai offert mon livre à ma femme de ménage et chaque fois, elle me raconte son avancée dans la lecture. Et elle me fait même des commentaires sur Baudelaire. Je trouve cela superbe. [Sourire]

LFC : Quels sont les prochains poètes sur lesquels écrire ?

JT : J’ai atteint l’Everest avec Charles Baudelaire.

 

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